LA GARANTIE DE BON FONCTIONNEMENT :
UNE GARANTIE RÉSIDUELLE ?
Intervention de Christophe BUFFET
Cette procédure est le plus souvent incomprise par les propriétaires voisins qui se trouvent assignés devant le tribunal, n’ont jamais eu un procès de leur vie, et protestent véhémentement.
Plus juridiquement, il y a lieu de détailler cette procédure, dont on rappelle qu’elle est relativement récente, et qu’elle a été admise tout d’abord, avec réticence, par la jurisprudence avant de s’imposer par l’application des articles du code de procédure civile relatifs à la compétence du juge des référés et surtout par l’application de l’article 145 de ce code.
Un auteur observait ainsi, en 1987 que : « 10 ans à peine ont suffi pour transformer une procédure à peine tolérée par les tribunaux ont une obligation dont le non-respect aggrave la responsabilité du maître d’œuvre en cas de sinistre »
Le juge saisi est celui du lieu de situation de l’immeuble à construire (et aussi parfois celui du siège social du défendeur). C’est le président du tribunal de Grande instance qui statuera en référé, et ceci sur le fondement de l’article 808 du code de procédure civile lui permettant dans tous les cas d’urgence d’ordonner en référé les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
L’article 809 du même code permet également de justifier juridiquement la compétence du juge des référés, dès lors que cet article permet à la juridiction de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le juge tire aussi sa compétence de l’article 145 du code de procédure civile qui prévoit expressément que les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. C’est très précisément l’intérêt d’un constat préventif de permettre, dans l’hypothèse d’un litige c’est-à-dire d’un procès à venir, d’établir l’existence de désordres préalables à la construction, a contrario, si ces désordres n’existaient pas au moment du constat de démontrer que ce sont les travaux qui peuvent être considérés comme étant à l’origine de ces désordres.
Le motif légitime, au sens de cet article est le risque de sinistre à venir.
On notera que le juge judiciaire peut être saisi même lorsque le projet est celui d’une personne publique, dès lors que les défendeurs sont eux-mêmes des personnes privées (selon un arrêt du Tribunal des Conflits 19 février 1996, qui autorise également à saisir le juge administratif).
Peut-être aura-t-on une préférence, si le choix est offert entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire pour la juridiction judiciaire, plus rapide et à laquelle il est possible de suggérer le nom d’un expert que l’on jugera plus capable qu’un autre et surtout plus rapide pour établir le constat.
C’est une erreur d’imaginer que seul le maître d’ouvrage à l’origine de l’opération de construction peut engager un référé préventif. L’expérience montre en effet que cela peut être de l’intérêt des entreprises et en particulier des entreprises de démolition que d’engager une procédure de référé préventif si le maître d’ouvrage ne le fait pas lui-même. On peut aussi très bien imaginer qu’un voisin engage une telle procédure.
Les personnes qui doivent être assignées sont en premier lieu les voisins, bien entendu, ou plus exactement les propriétaires voisins dont les immeubles sont susceptibles d’être atteints dans leur intégrité à l’occasion des travaux à venir.
Le mieux sur ce point, est de solliciter l’opinion de l’architecte de l’opération qui pourra restreindre le champ de ce voisinage afin d’éviter d’assigner inconsidérément des propriétaires insusceptibles de subir le moindre effet à l’occasion de la réalisation des travaux. Dans le même ordre d’idée, il n’apparaît pas nécessaire, par exemple, d’assigner le propriétaire d’un simple terrain non bâti qui ne sera pas affecté par les travaux. Il ne faut pas perdre de vue que plus les voisins seront nombreux à être assignés, plus les opérations de l’expert désigné seront longues et onéreuses.
Mais il faut aussi, par prudence, assigner aussi les entreprises, maître d’œuvre et éventuellement bureau d’études qui réaliseront les opérations de construction ou de démolition préalable, ceci afin de leur rendre opposables les opérations d’expertise et donc le rapport de l’expert et ses constats. On rappellera en effet que la responsabilité des entreprises à l’égard des voisins est susceptible d’être retenue, et que le maître d’ouvrage s’il est lui-même poursuivi par les voisins aura intérêt à réserver ainsi son recours en garantie à l’encontre des « voisins occasionnels » que constituent les entreprises.
On rappellera qu’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 octobre 2004 (numéro 03-15029) a jugé que des opérations d’expertise qui constituaient la seule preuve de l’imputabilité de désordres à l’égard d’une entreprise ne pouvaient être retenues à son égard, parce que ces opérations d’expertise n’avaient pas été menées contradictoirement pour ce qui la concernait.
Le cas échéant, les opérations d’expertise peuvent faire l’objet d’une extension à une autre partie, postérieurement à l’ordonnance initiale, et alors même que les travaux ont déjà commencé, sans que la violation du principe du contradictoire puisse être utilement soutenue, même si la partie en question n’est pas intervenue aux premières réunions d’expertise (Cour de cassation 22 octobre 2002 numéro 01-02541).
Il est aussi possible d’appeler aux opérations d’expertise les assureurs des entreprises, toujours afin de respecter le principe du contradictoire.
Cette question est essentielle.
La mission de l’expert peut en effet être extrêmement légère, et se limiter à une description, agrémentée de photographies, des immeubles avoisinants.
Cependant, on voit que dans ce cas, l’intérêt du référé préventif est réduit, et ne constitue finalement qu’un constat du huissier amélioré et plus coûteux.
On peut douter en outre, pour les opérations d’envergure, de l’intérêt d’un tel constat, alors que la mission de l’expert, le plus souvent un architecte pourrait plus judicieusement s’étendre à une analyse technique du chantier, mais surtout de ses effets sur les avoisinants, avec indication de toute mesure utile pour éviter tout désordre aux propriétés voisines.
C’est pourquoi en vérité les missions de l’expert dans le cadre d’un référé préventif sont devenues plus conséquentes et comprennent en particulier la possibilité d’émettre un avis, voir une autorisation au promoteur de réaliser des travaux indispensables pour limiter les désordres. Ce type de mission a été considéré comme pouvant être donné par le juge des référés par un arrêt du 30 novembre 1976 (numéro 75-15508).
La mission de l’expert peut donc être assimilée à celle d’un conseiller technique permanent et impartial, sorte de collaborateur–arbitre.
Le référé préventif ne se réduit donc pas à un simple constat, mais sa mission devient d’éviter un sinistre, par l’introduction dans l’opération de construction d’un expert tiers impartial missionné par la Justice et doté de pouvoirs d’initiative et d’intervention dans les travaux eux-mêmes.
Cet expert intervenant au cours des opérations d’expertise pourra immédiatement analyser les causes d’éventuels sinistres, et les prévenir.
On pourrait considérer, légitimement, que rien n’oblige maître d’ouvrage à engager un référé préventif et que s’il le fait, c’est avant tout dans un souci personnel d’éviter les recours abusifs de voisins qui se plaindraient par exemple de fissures apparues selon eux après les travaux, et qui en fait existaient avant même les travaux.
C’est bien, en vérité, l’intérêt principal d’un référé préventif, que de permettre d’établir cette preuve de l’inexistence de désordres avant les travaux ou a contrario de leur existence.
C’est d’ailleurs le plus souvent la raison pour laquelle un référé préventif est engagé.
Cependant, il est arrivé que les tribunaux jugent fautif le fait pour un maître d’ouvrage de ne pas avoir fait constater à titre préventif l’état de la propriété voisine en considérant qu’il y avait la une « carence préalable du maître de l’ouvrage », fautive, parce qu’elle empêche d’envisager toutes les causes d’un éventuel dommage, voire de le pallier, et comme telle, elle impose qu’une partie des conséquences de ce dommage demeure à la charge de son auteur . Il s’agit d’un arrêt de la cour d’appel de Paris.
Bien que l’article 1315 du Code civil impose classiquement à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de prouver celle-ci, et donc par exemple à un voisin qui se plaint de désordres causés par une construction de démontrer et de prouver l’imputabilité des désordres à cette construction, nous ne sommes peut-être pas très éloignés d’une analyse jurisprudentielle qui consisterait à considérer que par principe il entre dans les obligations de tout maître d’ouvrage d’engager un référé préventif avant toute construction, de sorte que ne pas le faire constituerait une faute qui entraînerait un renversement de la charge de la preuve.